Postface à la Messe in terra pax d’Arnaud Dumond
Nul besoin de croire en un dieu pour être bouleversés par cette histoire demi-légendaire d’un certain Monsieur Jésus, laquelle continue d’irriguer ici et là notre planète après avoir stimulé et/ou étouffé une civilisation deux fois millénaire. Comme il n’est nul besoin de vouer un culte à Zeus ou Mahomet pour s’inspirer de la sensuelle mythologie grecque ou des spiritualité et poétique musulmanes.
Semblable attitude vis à vis des religions signifie que nous passons progressivement d’un stade adorateur à un stade créateur, d’une adolescence inquiète à une maturité éveillée. Cela suppose s’être débarrassé de toute sujétion autoritaire ou hiérarchique. Et constater que les religions appartiennent aux hommes, athées comme croyants, et non l’inverse.
Cette Messe ne s’inspire que de sentiments humains, hantés par le ciel, et par ces utopies édifiantes qui aidaient autrefois à vivre, et à mourir. Elles aident encore. Ainsi une nouvelle approche envers les religions peut-elle être féconde, sans pour autant rechuter ni dans l’anticléricalisme ni dans l’obscurantisme. Songeons que les entreprises génocidaires du XXè siècle prirent source dans la longue tradition de brutalité de la Rome antique aux théories d’eugénisme états-uniens, où la logistique du KKK inspira les nazis : le In God we trust du dollar conquérant accouplé au Viva la muerte d’un Reich hypnotisé par une haine vécue comme « créatrice ».
Face à cette auto-destruction programmée, la Messe, quand bien même si souvent « collaboratrice », théâtralisait l’autre solution : sacrifice de soi, amour des autres. Mais était-ce une fatalité, cette Histoire de feu et de sang ? Fallait-il en passer par tant de crimes, d’atrocités, d’impérialismes colonisateurs, de dogmatismes, de grégarisme, de bêtise, d’irrépressibles bas-instincts ? Non, et chaque génération se doit de refaire l’Histoire par-delà le gâchis, imaginer d’autres voies. Si tu veux la paix, prépare la paix…
Le mot Pax est hurlé trois fois dans le Gloria. Notre 21è siècle, guetté par des cataclysmes de toutes sortes, travaillé de douloureuses convulsions civiques, doit accoucher un choix crucial : se crisper sur la loi du plus fort, les inégalités systémiques, les mensonges, ou suivre le chemin sans fin de l’empathie vers autrui, de la pacification de soi ? Se rassurer de solutions simplistes et mortifères, ou ne cesser de travailler, de sentir, d’admirer ? À moins que ces deux processus ne soient destinés à demeurer en guerre, oublieux de la planète même qui les fait vivre, laquelle ira s’effilochant.
Seuls victorieux ? Les insectes, qui nous survivront. Bien avant que la terre ne soit pulvérisée dans le cosmos, dans cinq milliards d’années, et féconde ainsi d’autres mondes. Tous nos voeux les accompagnent. La Messe comme utopie bouleversante. Car les hommes ont établi une vision du monde typiquement humaine : il y aurait un début, une fin, un auteur. Au lieu d’accepter l’impensable : que la vie a toujours existé, de sa propre intelligence, et que l’univers est éternel, illimité, et sans copyright.
Et d’avoir ainsi l’humilité – et la fierté ! – d’en conclure que – malgré une humanité imparfaite à se réguler, et grosse de tant de malheurs et de minables profiteurs, il soit déjà bien heureux que nous ayons eu la chance de vivre, de partager et de créer de si belles choses, seul(e)s ou en commun, ainsi jeté(e)s, pour un temps, même perdu, même si court, même pas peur, dans ce fleuve d’éternité…
Arnaud Dumond – 2020