Une petite histoire de la Wah-Wah
Parfois discrets et anodins ou bien péremptoires et ostensibles, ajoutés au son pur de la guitare électrique, les effets wah-wah, flanger, phaser, fuzz, distortion, tube screamer, chorus, reverb, octaver, echo et autres tremolo sont omniprésents dans les musiques électriques depuis la fin des années cinquante. Ils dominent réellement les séances d’enregistrement, ils sont les tubes de couleur qui teintent les « tubes » du guitar hero : Jimi Hendrix, Frank Zappa, David Gilmour, Jimmy Page, Keith Richards, George Harrison, Carlos Santana, The Edge, Eddy Van Halen, Kurt Cobain et bien d’autres en furent les utilisateurs précurseurs et les talentueux promoteurs ! Cette rubrique passe au peigne fin les « stompboxes » les plus célèbres et prisées autant que les pédales et effets rares, décalés et originaux.
D’entre tous les effets de la guitare électrique, la pédale wah-wah est assurément la seule que le grand public – en d’autres termes le commun des mortels non guitariste – sache reconnaître, identifier et nommer, sans hésitation aucune ! Elle a ce privilège et cette faveur de l’imaginaire populaire et collectif, bien plus encore que le fuzz, au point d’être devenue l’emblème de l’esthétique sonore de la génération des seventies. Son empreinte auditive est si adhérente à son époque qu’un seul va-et-vient du pied sur le plateau de la pédale vous renvoie aussitôt à des horizons aussi divers et variés que Jimi Hendrix et Frank Zappa pour les plus connaisseurs, qu’au générique de Shaft – voire les musiques additionnelles dans Starky & Hutch – et Funkadelic pour les plus fondamentalistes de l’effet, qu’à Miles Davis pour les plus pointus, et même aux paroles du chanteur de variétés français Nicolas Peyrac, qui dans l’une de ses chansons évoquait la drague et la danse du temps de son papa : « Quand vous dansiez en ce temps-là, pas besoin de pédale wah-wah (Et Mon Père) ».
Un instrument qui imite la voix humaine
La pédale wah-wah fut dans les années soixante le dernier avatar de « modélisation analogique et électronique » de la voix humaine, s’inscrivant ainsi dans la lignée antédiluvienne des tentatives de reproduction de ses inflexions, de ses accents et intentions. Celle-ci, et ses quelques variantes comme l’auto-wah ou la talk-box, sont les dernières dépositaires d’un très long parcours né dès l’apparition du premier instrument à corde connu : l’arc à bouche, apparu il y a 15 000 ans. L’instrumentiste modulait le son de la corde de l’arc frappé par une baguette (ou flèche) alors que sa bouche servait de caisse de résonance où les sons étaient modulés.
Les percussions telles que la cuica brésilienne, le zambomba espagnol ou le rommelpot médiéval des Flandres, puis les sourdines d’instruments à vent, s’inscrivent dans la même dynamique musicale et n’en sont pas moins les ancêtres directs.
La première pédale wah-wah fut d’ailleurs conçue en Angleterre au milieu des années soixante pour un trompettiste anglais de Jazz New-Orleans, un certain Clide Mc Coy. Musicien que l’on peut sans méchanceté aucune qualifier de ringard et « has been » de son vivant, il ne doit la postérité de son nom qu’aux guitaristes de rock qui ont détourné sa pédale de sa fonction première, qui consistait à remplacer la bonne vieille sourdine des soufflants par un gadget électronique !
L’électronique des pionniers
Techniquement parlant, l’effet wah-wah consiste en une simple modification de la voyellisation d’un spectre sonore : à l’aide d’un potentiomètre que l’on actionne au pied, on module progressivement un son en « OU » en un son en « A ». En répétant rapidement le mouvement, on obtient « Ou-a – Ou-a » et voilà comment le son se met à dire la chose. Il s’agit d’une onomatopée musicale dans les règles de l’art, tout comme le son « fuzzzzzzzzzzzzzz », qui nous donne à entendre un essaim d’abeilles en escadrille ! Notre pédale wah-wah nous permet de tenir un discours plein de sens musical, qui emprunte à l’oralité du langage, même s’il ne fait pas sens comme des mots bien entendu (il vous sera difficile d’aller acheter votre baguette de pain en vous exprimant simplement avec votre pédale wah-wah !). Sa grande expressivité vocale s’étend, dans les basses, d’un discours masculin qui peut être assez souvent un gonflé de sous-entendus sexuels, au braillement d’un bébé dans les aigus, qui lui vaudra son nom de Cry Baby, en passant dans les médiums à des inflexions plus délicates et féminines qui ne sont pas, il faut bien le reconnaître, le fort du guitariste lambda…
Un effet typé omniprésent
Difficile, dans les années soixante-dix, d’ouvrir son poste de radio sans entendre une pédale wah-wah ! Elle fut utilisée et usée jusqu’à la corde. Parfois tous les instruments d’une même formation étaient moulinés par son traitement. Miles Davis lui-même, qui courait après le fantôme de Jimi Hendrix au début des années soixante-dix, passa sa trompette dans une wah-wah, mais aussi la basse électrique et les claviers de son orchestre. Bref, la folie wah-wah s’était alors emparée de tous les musiciens.
Si l’on ne devait retenir que deux exemples de jeux de wah-wah parmi les plus musicaux (c’est peu, certes, mais faire des choix, c’est faire des deuils), il faudrait bien sûr citer Jimi Hendrix, qui passa maître dans l’art de jouer de cet instrument électronique, lui conférant une vitalité sans pareille. L’introduction de Voodoo Chile (Slight Return) n’est plus à citer tant elle est une pierre de touche dans le domaine, alors creusons plus en amont avec une maquette instrumentale sobrement nommée Wah-Wah, enregistrée aux Studio PPX de New York en 1967, dans laquelle notre Jimi se fait, non pas la main, mais le pied sur sa toute nouvelle acquisition.
Frank Zappa est incontestablement celui qui poussa l’effet wah-wah au-delà de ses simples possibilités d’imitation des inflexions de la voix, en l’extirpant de ce stéréotype devenu par trop systématique. Celui qui affirmait avoir mis entre les mains de Jimi Hendrix sa première pédale wah, a su tirer de cette dernière une substantifique moelle en l’utilisant tout à la fois comme un filtre en position fixe, un trémolo survitaminé, un déphaseur ou encore hachoir de tempo ! Le titre Willie the Pimp sur l’album “Hot Rats” (paru en 1969) est un cas d’école, pour ne pas dire le mètre étalon, de l’étendue des possibilités qu’offre l’effet wah-wah. •
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Voici une sélection de quelques vidéos permettant de revoir les maîtres de la pédale wah en pleine action ! Jimi Hendrix bien sûr, dans l’incontournable interprétation de Voodoo Child donnée à Woodstock ; Frank Zappa, au sein d’un orchestre réunissant le violoniste Jean-Luc Ponty et le claviériste George Duke (notez qu’à cette époque la pédale wah est également fréquemment employée pour le piano électrique) ; Eric Clapton avec Cream, pour une version de référence de White Room ; et le trompettiste Miles Davis, notablement influencé par les guitaristes.
Jimi Hendrix, Voodoo Child (Slight Return), Live at Woodstock (1969)
Frank Zappa, Montana, 21/08/1973 (avec Jean-Luc Ponty & George Duke)
Cream, White Room Live, 1968 (Royal Albert Hall)
Eric Clapton (Cream), wah wah pedal
Miles Davis, Gets Funky with Keith Jarrett (Oslo, Norway 1971/11/09)
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