Paul Personne
Un mal pour un bien
Avec « Lost In Paris Blues Band », Paul Personne sort un des albums de guitare les plus frais et les plus réussis de cette rentrée. On y retrouve une brochette de six-cordistes parmi les plus redoutables de la planète, à savoir Robben Ford, John Jorgenson et Ron Thal. Pas moins ! L’histoire remonte en fait à novembre 2015, lors de la tournée « Autour de la Guitare » de Jean-Félix Lalanne, au cours de laquelle quelques dates furent annulées. La suite… racontée par Paul lui-même !
C’est venu un matin au petit déj’, où je me suis soucié de la condition humaine de ces pauvres musiciens américains, un peu paumés dans Paris, livrés à eux-mêmes… J’ai dit à Gloria, qui vit avec moi : « Tu te rends compte, tous ces mecs à Paris, ce gâchis de talents perdus ! ». J’étais dans mon délire, et elle en rigolant : « Bah, t’as qu’à les inviter une après-m’ dans un studio, à faire une jam de blues ! ». J’ai trouvé l’idée marrante… Et puis j’ai eu Mehdi El Jaï (de Verycords) au téléphone : « Tiens, tu veux avoir la vanne du jour ? ». Et je lui raconte mon idée saugrenue ! Il me rappelle dix minutes après : « Mais tu sais que ton idée, elle peut être géniale ! » Il me rappelle l’après-midi : Jean-Christophe, le tôlier des studios Ferber, pouvait nous libérer les 5, 6, 7 novembre en lock out. « Ok ! Je n’ai plus qu’à convaincre les musiciens américains. » Et puis Simon Turgel, le boss de Verycords, me dit : « Attends Paul, on va faire un truc vachement plus sympa ! On les invite chez moi, on va faire une petite bouffe, avec des pattes aux truffes et du bon bordeaux, et puis tu leur raconteras l’histoire ! ». Donc je leur ai raconté l’histoire ! Il y avait Robben Ford, John Jorgenson… Ron Thal nous a rejoints. Et quand je leur ai parlé de faire une session de blues, juste pour le fun, une sorte de récréation… ils sont partis à fond la caisse : « Great ! Super idée. Qu’est-ce que tu veux faire comme titres ? ». « – On va faire que des covers, de standards, de choses que j’aime bien… Il peut y avoir du Dylan, du Tom Waits, du Freddie King, du Ray Charles… Je vous donnerai une liste ! » L’idée est partie comme ça.
Avec ces trois-là, tu t’étais senti des atomes crochus ?
J’aurais bien aimé que Larry Carlton fasse partie du lot aussi, mais il était parti en Allemagne pour un business à lui, et quand il est revenu, j’ai senti que ça allait être plus compliqué, parce qu’il a commencé à me parler de son manager, de son agent… Alors qu’avec John, Robben et Ron, c’était « friendly » : « Ah ouais, ok, cool ! On est avec toi… ». Robben est un mec un peu distant, introverti, mais dès que tu parles musique avec lui, il est cool. John est d’une gentillesse incroyable, et talentueux ! On s’est bien marrés, et on sentait qu’on avait les mêmes références musicales. Et avec Ron, pareil ! C’est un des premiers mecs qui sont venus me dire bonjour sur la tournée (« Salut, je suis Ron ! J’habite le New Jersey… »). Je sentais qu’avec ces trois mecs, d’horizons complètement différents, mais avec chacun une forte personnalité et un son, j’avais un trio gagnant pour faire ce genre de musique.
Non seulement John joue très bien la guitare, mais il joue aussi les claviers…
C’est un couteau suisse ! Il m’avait dit : « Tu sais Paul, je ne suis pas obligé de jouer de la guitare tout le temps, je peux jouer du piano, de l’orgue Hammond, même du sax si tu veux… » John, c’est le genre de mec qu’il faut avoir en studio !
Je suis un autodidacte complet et un guitariste instinctif.
Autre caractéristique de cet enregistrement, ce n’est pas « Paul Personne qui invite tel ou tel », mais vraiment une aventure collective…
Je pense que c’est un peu l’originalité et le côté magique de l’histoire. On voit plein de gens qui invitent des artistes à jouer sur un titre. En ce moment, ce qui se fait énormément, c’est même les envois de fichiers. C’est pas joué live ensemble, ça se fait par fichier interposé (« Tiens, je t’ai laissé 24 mesures, tu me fais un coup de slide… »). Là, c’est vrai que c’était vraiment des êtres humains ensemble dans le studio ! Il y avait cette notion de « band », personne n’essayait de passer sur l’autre… il y avait un mélange de personnes qui n’avaient plus grand-chose à prouver, à part d’être bons, d’essayer de faire ça bien, et surtout de prendre du bon temps je crois. C’était ça je pense le truc majeur. Et moi, j’ai laissé un terrain de jeu vachement libre sur les chansons. Les arrangements n’étaient pas prévus… On partait, et tout le monde se greffait sur l’histoire, chacun avec sa personnalité, et l’envie de jouer ce qu’il avait envie. Aucune censure !
Qui joue les parties de slide ?
Bah c’est moi ! (rires). En plus c’est marrant, parce que ça faisait très longtemps que je n’avais pas joué de slide… Et là, comme personne n’en jouait vraiment, j’ai ressorti mon bottleneck et je me suis dit : « Bon, je sais encore jouer de la slide ! ». Donc c’est moi qui m’y suis collé !
Durant cet enregistrement, tu as proposé quelques riffs à tes camarades pour lancer tel ou tel morceau, tel climat ?
Pour I Don’t Need No Doctor, évidemment il y a une sublime version de Ray Charles. Il y avait aussi la version d’Humble Pie, avec Steve Marriott et Peter Frampton, qui est marrante, « hard ». Moi, j’avais envie de faire un truc plus cool, plus chaloupé… Je leur ai dit : « J’entends un truc comme ça, qui se balance, là vous jouez ce que vous voulez, vous mettez une atmosphère, une ambiance un peu free… ». Et à un moment, j’ai monté et c’est parti sur ce tempo (il joue et chante le riff ). Et donc tout le monde a joué ce gimmick-là ! Pour It’s all over now, un traditionnel de Bobby Womack, qui souvent a été repris un peu à la manière des Stones, j’étais parti sur une sorte de tempo à la Bo Diddley, un peu plus Louisiane. Et puis John est arrivé, et ils ont tous suivi un peu ce genre de gimmick… C’était assez « free » les départs de chansons. On ne savait pas trop où on allait, mais ça se mettait en place très très vite.
Quand tu te dois partir en solo, tu as parfois une ou deux « rampes de lancement » en réserve ?
Avec le temps, oui, si manque d’inspiration ou si moment « perdu », je vais toujours me rattraper par un truc. Mais j’aurais tendance à dire que je ne sais vraiment pas ce que je vais faire à l’avance, surtout quand t’es chanteur ! Un mec qui est musicien, qui accompagne, qui joue et qui sait qu’il a un solo à prendre, peut peut-être l’anticiper ou y penser, et se dire : « Tiens, je vais partir de telle ou telle manière ». Mais moi, quand je suis sur le champ et que d’un seul coup je monte le volume et que… je pars sur le solo, je me dis : « Bon, bah ça part comme ça ! » Ç’aurait pu partir autrement, mieux, moins bien, mais ça part comme ça part ! Et je pense que c’est peut-être ça qu’il faut arriver à accepter : l’instant présent, le moment joué… Il y a des jours, tu peux avoir un jeu agressif, parce qu’à l’intérieur t’es énervé. Ou tu peux avoir un jeu très cool ou très sexy, ou très « machin », parce qu’à l’intérieur, t’as ce genre d’état d’âme. Mais faut arriver à accepter ce moment-là… Je suis un autodidacte complet et un guitariste instinctif. Donc c’est vrai que je ne sais pas trop ce que je vais jouer à l’avance, ni comment ça va commencer, ni comment ça va se finir !
Pour moi, l’idée de jouer de la guitare, ça doit faire partie d’un tout… La guitare vient juste souligner l’ensemble, et à un moment donné, parler elle toute seule une fois que le chanteur a décidé de se taire !
Ta culture guitare, tu dirais que c’est le blues, fondamentalement, et le rock ?
Ouais, ça fait vraiment partie de cette culture sixties. Pour moi ça a été les Beatles, les Stones, tous ces groupes anglais, les Kinks, les Animals, puis je crois que mon gros flash de guitare, ça a été surtout Eric Clapton avec John Mayall, sur le premier album, le fameux « Beano », avec les Bluesbreakers. C’était la première fois que j’entendais un son de guitare comme ça. Je me disais : « Woah, qu’est-ce que c’est que ça ? » Depuis évidemment, on a su que c’était une Les Paul sur un Marshall, avec un treble booster, mais à l’époque on ne savait pas. Et puis juste derrière, il y a Jimi Hendrix qui est arrivé, plus avec ce son Strat, et la fuzz, et tout ça… T’as pris un aller d’un côté, et t’a pris le retour le lendemain ! Là je pense qu’en très peu de temps, le son des guitares avait changé, soudainement, vers 66-67.
Venons-en justement à ton son à toi. On te voit souvent avec une Les Paul… Tu aimes bien le humbucker, ce son gras ?
Oui, parce qu’un jour j’ai trouvé que ça correspondait au son de ma voix. Ces guitares sonnent un peu « sales », chaudes et rondes. Et ce son de voix – auquel je ne peux rien faire ! – est un peu comme ça, voilé, saturé. Donc j’ai senti que quand il y a ce dialogue entre la voix et la guitare, bah ça marche bien ! J’ai joué par le passé avec des Strato, des Telecaster, des tas d’autres guitares, mais un jour j’ai trouvé que l’association, la combinaison se mariait bien entre les deux. J’aime bien. Et avec une Gibson, on peut être pas fort sur un ampli et tout de suite avoir un son chaud et rond, saturer très vite, sans utiliser de pédales ou de choses comme ça…
Justement, qu’est-ce que tu utilises derrière ?
Je suis très traditionnel ! Pour moi, il y a Vox, Marshall, Fender, les trois grandes marques, que j’ai utilisées régulièrement. Au départ, j’aime bien le son anglais, donc ce son un peu Vox… J’aime bien les petits amplis Orange, qui sont vachement bien et en plus pas lourds, genre « Tiny Terror ». Tu mets ça sur un baffle, et t’as vite un son peu crad et en même temps dynamique. De temps en temps, j’ai un vieux Mesa Boogie Mark 1, qui sonne un peu partout. Je ne suis vraiment pas sophistiqué ! Une wah wah, un Tube Screamer, un bon vieil ampli à lampes et une bonne guitare avec un bon jack, ça me va ! J’ai pas besoin de plus et j’arrive à m’en sortir comme ça… Parfois j’utilise une pédale Leslie, parce que j’aime bien, ça amène une ambiance particulière… J’ai un vieux Phase 90, que je peux utiliser pour certaines textures, parce que j’entends une sorte de climat… Je dois avoir aussi une sorte d’octafuzz, où tu peux choper la note supérieure, comme utilisait Jimi dans Purple Haze… Mais c’est vraiment des trucs anecdotiques, que j’utilise de temps en temps, ça ne fait pas partie de mon son. Je ne suis pas un « mec à pédales ». Mon truc, faut que ça vienne d’autre part. Ça va être dans le choix des notes, dans l’inspiration du moment, dans le support du morceau sur lequel je vais jouer. Parce que pour moi, l’idée de jouer de la guitare, c’est pas spécialement de faire un couplet et un refrain et de jouer un solo de guitare interminable, même si j’adore les solos de guitare. Le but, c’est que ça doit faire partie d’un tout. Il faut que la compo du morceau soit bien, il faut que ce qu’on raconte avec les mots soit intéressant, et la guitare vient juste souligner tout ça, et à un moment donné, parler elle toute seule une fois que le chanteur a décidé de se taire !
Le but de la vie, c’est de se trouver soi-même, de savoir pour quoi on est fait !
La liaison entre le vocal et l’instrumental, pour toi, ça passe entre autres par le bend ? Le fait de tirer les cordes, de chercher les inflexions ?
Je chante comme je peux ! J’ai jamais pris de cours, je voulais même pas être chanteur ! Depuis tout môme, je me suis retrouvé à chanter, parce que c’était moi qui savais le mieux le faire dans le groupe… Donc je me suis retrouvé un peu Paul Personne presque « malgré moi » ! Moi, je voulais juste être guitariste dans un groupe ! Mais bon, c’est pas grave, on n’échappe pas à sa vie… Par rapport aux bends, c’est vrai que c’est génial avec la guitare, parce que tu peux vraiment passer par des tas de quarts de tons, de huitièmes de ton… Après, t’as des mecs qui vibrent comme ça (il joue), t’en as qui vont vibrer plus vite, ou plus lentement, c’est à chacun son truc ! C’est un truc qui se ressent ou qui se travaille, suivant chaque personne. Quand on est un jeune mec, qu’on apprend à jouer de la guitare et qu’on veut tordre les notes, on a tendance à être « hyper nerveux sur la corde »… (rires)
Quel conseil donnerais-tu justement à un de ces jeunes-là, pour essayer de « calmer le jeu » ?
Il faut être relax ! Quand on s’énerve comme ça, à vouloir tordre une note, c’est parce qu’on met de la puissance dans le truc, alors qu’en fin de compte, même si on le fait avec un seul doigt, il faut vraiment être relax. Après, tu choisis la vitesse qui t’intéresse… Pareil pour aller prendre plusieurs notes ensemble. C’est un truc que t’entends. Là, dans ce que je viens de jouer, il y a une influence très Albert King… J’ai appris à jouer en écoutant les mecs. Je sortais un disque, je le mettais sur ma platine, et mon prof était là à la maison, à un mètre de moi ! Fallait juste écouter, parfois aller voir des concerts, voir les mecs sur scène, scruter comment le mec jouait, comment il bougeait les doigts. Tu te prends une bonne claque dans la tronche et tu reviens chez toi ! Mais une semaine après, t’as fait des progrès. Donc moi, j’ai jamais été pour travailler le style de quelqu’un. J’ai écouté vachement de guitaristes, mais quand j’écoutais Albert King, ou Freddie King, ou Peter Green, ou Jimi Hendrix, je passais pas mon temps à piquer leurs plans. Je m’imprégnais de leur musique. Et au bout d’un moment, tu te retrouves à jouer, et tu te dis : « Tiens, ça me fait penser à du Peter Green, ok ! ». Parce que ta tête est imprégnée de la musique de ce mec-là ! Et le mois d’après, tu vas écouter Jimi, et tu vas écouter Clapton, ou un autre guitariste que t’aimes bien… et c’est comme ça, en amoncelant un peu tous ces trucs dans la mémoire de ton cerveau, que t’arrives peut-être à trouver ton truc à toi. Parce que toutes ces influences qui sont évidentes et fortes, si tu les as pas trop travaillées, elles vont te laisser le libre champ. T’auras l’impression de jouer comme Peter Green, mais tu pourras jamais jouer comme lui ou comme Hendrix. Donc tu vas jouer maladroitement, toi, du Peter Green, et du coup, tu vas finir par te jouer toi ! C’est ça qui est génial. Alors que si t’essaies de trop jouer comme Stevie Ray Vaughan ou comme machin, tu finis par être un clone des gens que t’admires, et c’est pas bien. Parce que le but de la vie, c’est de se trouver soi-même, de savoir pour quoi on est fait ! •