Paco El Lobo
« Flamenco de combat »
« Pour moi, le flamenco est une musique de combat », affirme sans détour Paco El Lobo. A la fois chanteur et guitariste, l’artiste occupe aujourd’hui une place singulière dans cet univers. Son nouvel album, « Flamenco » (Buda Musique/Universal), permet de l’entendre notamment en compagnie du guitariste Cristobal Corbel, son partenaire depuis quelques années.
« Tobal »
« On s’est rencontrés il y a quatre ans, un 19 décembre… J’arrive dans la loge, et je vois un mec très sympa, belle tête, les cheveux très longs, et puis j’entends le son de la guitare. La mienne est restée dans l’étui ! (…) Sur l’album, Tobal se charge de toutes les guitares. Moi, je la prends un peu au niveau rythmique, pour ne pas qu’il se pète les doigts dans les rasgueados, comme ça il est concentré sur les arpèges, les picados… On a fait ça comme ça, et le petit Samuelito est venu faire un petit renfort de cajon sur un thème. »
Du slalom entre les polypes
Mais revenons « aux origines ». Marqué par le flamenco dès son jeune plus jeune âge, c’est par le chant que cette musique s’impose d’abord à Paco. « Quand j’ai entendu la première fois le chant flamenco, raconte-t-il, j’ai été tétanisé ! Ce qui me tétanisait, c’était le timbre de voix, ce qu’on appelle chez les Gitans, le « jajo », un son particulier, qui est la fêlure et la cassure. Comme les blacks dans le jazz. Louis Armstrong, Manolo Caracol, même combat ! (…) Ce qui me plaisait, c’était le « funambulisme » des Gitans, qui faisaient du slalom entre les polypes, tu vois ! Et d’un seul coup, il y a quelque chose qui sort là, qui est entre le cri de naissance et le cri d’agonie. Ça, ça m’a touché à l’âge de 8 ans. Et j’ai pas dit : « c’est ça que je veux faire », j’ai dit : « c’est ça que je suis ! ». Cette musique, ce chant correspondaient à la dureté de ce que je vivais. »
Sur la trace de ses héros
L’Anthologie du Cante Flamenco sortie chez Ducretet-Thomson en 1955 (prix Charles Cros 1956), qui se retrouve alors par hasard entre ses mains, va jouer un rôle fondamental dans l’évolution du jeune garçon. Paco y découvre en effet des figures de cette musique, tels Pepe de la Matrona ou Rafael Romero « El Gallina », tous accompagnés par le guitariste Perico el del Lunar (également directeur artistique de l’Anthologie). « Donc là, je me suis mis à bosser, reprend Paco. Je ne parlais pas bien espagnol, donc j’ai tout appris en phonétique ! Et à l’âge de 15 ans, quand j’ai débarqué à Madrid, j’avais de la peine à leur dire bonjour, mais je leur chantais tous leurs trucs par cœur ! ». En effet, dès l’adolescence, Paco n’hésite pas à prendre la route, sur la trace de ses héros. « Je savais que la plupart de ces artistes chantaient dans un tablao à Madrid, le Zambra, rue Alarcon. Donc je suis rentré là, et je les ai tous vus sur scène. Pour moi, c’était magnifique, merveilleux ! C’est comme si quelqu’un aimait le rock et allait à Memphis pour voir Elvis Presley. Impensable ! (…) Ils étaient tous réunis sur la Plaza Santa Ana à Madrid, et dans tous les bars autour, t’avais le dictionnaire du flamenco ! (…) J’ai eu cette chance quand j’étais môme, j’avais une quinzaine d’années… ».
D’un seul coup, il y a quelque chose qui sort là, qui est entre le cri de naissance et le cri d’agonie.
Apprentissage
Le périple se poursuit aux studios Amor de Dios, où tout le monde va répéter. « T’avais les danseuses, les guitaristes, les ballets qui partent à Santo Domingos, ceux qui reviennent du Japon… Et moi là en train de faire des palmas pour les danseuses ! De temps en temps, on me laisse chanter une lettra… J’apprends le métier comme ça. Et un jour, je me suis retrouvé dans une tournée ! Il manquait un chanteur, on me dit : « – Tu veux pas venir, toi ? – Tu crois ? – Bah oui, tes palmas vont bien… ». C’est comme ça que je me suis retrouvé, à 16 ou 17 ans, dans les ballets Rafael Aguilar… »
Et la guitare, comment intervient-elle dans ce parcours ?
« Fan de la guitare, évidemment ! Mais je me rends compte que les dix doigts, les dix-neuf cases et les six cordes, ça va pas le faire ! Parce que je ne suis pas un cérébral du tout…
Ce putain d’instrument, si tu fous pas le doigt comme ci et comme ça, et ne passes pas des heures dessus, c’est compliqué ! Donc, j’étais admiratif des guitaristes, mais je ne voyais pas la corrélation qu’il y avait entre la technique et le son que j’entendais. Pour moi, c’était de la science-fiction ! Et donc à l’âge de 13 ans, ce que je voulais, c’était apprendre la basse électrique ! (…) J’étais tombé sur un groupe anglais… mais pourri !, qui s’appelait The Troggs. Là-dedans, il y avait une basse électrique, et ce son ça m’a vachement plu. Donc à Noël, j’avais demandé une basse ! Et je vois arriver une guitare, une petite Couesnon… J’ai fait la gueule ! Mais j’ai pas perdu au change en fait. » Peu à peu, Paco apprend et repique les accords… « Cet accord-là, surtout ! Quand j’ai entendu ça la première fois, j’avais la chair de poule ! On est en La, mais d’un seul coup, t’as une espèce de Si bémol. Ça m’a scié ! Il n’y a pas plus flamenco que ça ! » (Il joue, ndr) « Et pendant des heures, des jours, des mois, je le faisais, je me saoulais de l’accord ! Et un jour, j’en ai trouvé un autre ! »
Ce putain d’instrument, si tu fous pas le doigt comme ci et comme ça, et ne passes pas des heures dessus, c’est compliqué !
Les années 80
Aujourd’hui, dans le flamenco, on est en général soit chanteur, soit guitariste (il est très rare de mener les deux de front – bien qu’historiquement, les gravures de l’époque attestent que ce n’a pas toujours été le cas). Quoi qu’il en soit, la guitare va aider à Paco à se « faire la voix ». « A un moment donné, dans les années 80, explique-t-il, il y a eu une « crise » des guitaristes. Quand Paco de Lucia est arrivé, tous les guitaristes étaient omnibulés. Tout le monde voulait « piquer » comme lui, c’était la révolution de la guitare… Le chant les emmerdait… Et je ne progressais pas. J’étais bloqué, parce que je sentais que quelque chose n’allait pas. Donc je me suis dit : « Je vais quand même essayer de faire un peu mieux, et de devenir mon propre guitariste ! » Pas compliqué, il y a quatre accords, mais faut pas les foutre n’importe où bien sûr ! Donc j’ai appris à m’accompagner, à mettre la main droite dans le compas, à mettre les trois accords de base, et là quand même j’ai commencé à progresser ! »
L’hommage à Paco
« Dans cet album, j’ai rendu hommage à Paco de Lucia, mais je ne voulais pas que ce soit un guitariste qui le fasse. Donc on a fait une siguiriya, qui est peut-être le chant le plus tragique. J’ai chanté une copla (un « couplet », ndr) avec Tobal, et ensuite j’ai laissé un danseur improviser pendant deux minutes, avec des micros autour, pour qu’on entende son univers, pas seulement ses pieds, mais son univers musical à lui, José Maya – pour moi un des meilleurs danseurs de tous les temps ! C’est un gitan d’une trentaine d’années, qui nous vient du marché aux puces de Madrid, d’une famille d’antiquaires, très savante au niveau flamenco, mais au niveau artistique aussi. C’est le Paco de Lucia de la danse ! (…) Je voulais qu’il soit tout seul, je le rejoins avec la voix dessus et ça meurt comme ça… c’était ça mon idée ! Il a mis les chaussures et il a fait les deux minutes, là, dans le studio. C’est une chance énorme ! »
La guitare de Manuel Bustamante
Parallèlement à sa carrière d’artiste professionnel, Paco intervient dans le tissu social (prisons, hôpitaux…). « A un moment donné, je m’occupais aussi de jeunes délinquants… J’essayais de les intéresser à quelque chose, et j’étais tombé sur un menuisier, un vieux monsieur qui connaissait très bien le bois, leur expliquait qu’avec le peuplier on pouvait faire ça, avec l’acajou, ça… Et ce môme-là, Manuel Bustamante, un petit flamenco de l’émigration espagnole, est « tombé dedans » et a passé son CAP de menuisier. Tout va bien, et je le perds de vue… Un jour, je fais un concert en Normandie, et je vois un mec baraqué qui arrive dans la loge : « Paco ça va ? Tu te rappelles ? » (Le môme, quand je l’ai connu, il avait dix ans !). Donc il arrive comme ça, dans la loge, et il me dit : « Voilà ta guitare ! ». (…) Je me suis retrouvé avec une « Ferrari », et cette guitare, j’y tiens, parce qu’elle a une histoire… C’est celle que la vie m’a offerte, en m’occupant des mômes. Ce môme, je l’ai marqué, et quelques années après, il est devenu luthier. Donc ce n’est pas une guitare que j’ai là, c’est autre chose ! »
Sites : www.pacoellobo.com