Hommage à Roland Dyens
Un artiste sans frontières
La disparition de Roland Dyens a secoué le monde de la guitare. L’envergure de cet artiste sans frontières rend cette perte très sensible, bien au-delà du seul domaine classique dans lequel il évoluait. Nous avons demandé à trois guitaristes issus d’univers différents de livrer leur témoignage sur cette personnalité singulièrement riche et définitivement exceptionnelle.
Arnaud Dumond
Ancré comme Roland Dyens dans le monde de la guitare classique, avec un esprit d’ouverture similaire sur d’autres musiques et une même rigueur dans l’approche technique, partageant également avec lui le goût de la composition, le guitariste Arnaud Dumond nous livre un témoignage marqué pas sa complicité avec l’artiste, dont il fut un compagnon de route et un interlocuteur privilégié. En forme d’hommage musical, Arnaud joue trois pièces dédiées à son ami, dont une composition spécialement écrite après sa disparition (à retrouver ici).
Jean-Christophe Hoarau
Spécialiste de musique brésilienne, Jean-Christophe Hoarau partagea la scène avec Roland Dyens à la fin de années 70, lui aussi passionné par le Brésil et sa musique, comme l’atteste son dernier album enregistré, « Naquele Tempo » (Music of the Brazilian Master Pixinguinha), paru chez GSP. Devenu directeur pédagogique de l’école ATLA (Paris 18e), Jean-Christophe sollicita Roland pour y donner des cours, ce à quoi le concertiste acquiesca sans hésiter. Témoignage et anecdotes sur un musicien réputé « sans oeillères ».
Hervé Legeay
Issu du rock, féru de guitare manouche, accompagnateur de Sanseverino et compositeur pour le théâtre, Hervé Legeay n’en entretient pas moins une « intrigue » au long cours avec la guitare classique. Rencontré lors d’un stage à la fin des années 70, Roland Dyens y joue un rôle central, notamment via ses « Saudades » (pièces inspirées par son premier voyage au Brésil). « Roland était un shaman », déclare Hervé. Ou quand la magie des cordes souffle l’esprit « rock’n’roll »…
Roland Dyens
De la musique avant toute chose…
Après avoir commencé la guitare à l’âge de 9 ans, Roland étudie avec Alberto Ponce. Il aborde également la composition avec Désiré Dondeyne et se distingue par ses talents d’arrangeur et d’improvisateur. Lauréat de la Fondation Menuhin, parmi de nombreuses autres distinctions, il mène une riche carrière internationale. « Guitare d’or » du Concours international d’Alessandria en 2006, il reçoit, l’année suivante, la commande de la pièce imposée du prestigieux concours GFA (Guitar Foundation of America). Concertiste et compositeur renommé, Professeur au Conservatoire de Paris depuis l’année 2000, Roland Dyens s’exprimait sur ses activités de pédagogue en 2011 à l’occasion d’un entretien pour La Lettre du Musicien (N°402 – mai 2011). Propos recueillis par Marc Rouvé.
Comment enseigne-t-on à des musiciens de haut niveau ?
Cela risque de sonner un peu provocateur, mais, en gros, je ne fais pas de différence dans ma manière d’aborder l’enseignement de la guitare, que j’aie en face de moi un amateur de 60 ans ou un futur professionnel, comme c’est le cas ici à Paris. Dans les deux cas, je donne tout et je ne laisse rien passer. Que dois-je transmettre ? « De la musique avant toute chose » pour reprendre le fameux vers de Verlaine, ce qui signifie que tout problème technique sera résolu par l’approche musicale et non l’inverse. C’est mon credo. Je refuse absolument que la musique soit esclave de la technique. Cette démarche implique par conséquent une attention extrême, redoublée dirais-je, portée aux « détails » dans l’interprétation. Au final, c’est cette suprême exigence qui fait et fera toujours la différence selon moi.
En trente ans, le niveau global a monté de façon spectaculaire…
Tout à fait. D’ailleurs, cette année, le premier nommé au concours d’entrée a 16 ans et demi, ce qui était impensable il y a trente ans. Oui, la guitare a largement rattrapé son retard sur les autres instruments. Les élèves qui entrent au Conservatoire sont des pur-sang. C’est pourquoi j’articule mon enseignement sur l’importance des détails évoquée plus haut, en y ajoutant mon expérience intime de concertiste et de compositeur. Prenons un thème comme celui des doigtés, par exemple. C’est une source inépuisable de secrets à découvrir qui illustre bien le côté « instrument labyrinthique » de la guitare. j’ai la faiblesse de penser que mon expérience de compositeur enrichit ce que je peux proposer de ce côté-là, avec parfois des solutions qui peuvent surprendre mais que l’étudiant est libre d’accepter ou de décliner in fine. Je respecte cela bien sûr. Pour ce qui est de mon expérience de concertiste, elle me permet de leur transmettre des choses vécues en récital, sur scène, dans la vraie vie quoi, comme, par exemple, ce moment où le public décroche pour une raison ou pour une autre et qu’il faut trouver les ressources pour reconquérir son attention. On est donc ici en prise avec les aspects concrets de la vie de musicien. Je ne suis pas ici un laborantin mais un musicien qui donne à ses étudiants ce qu’il vit au quotidien. Voilà tout.
Je refuse que la musique soit esclave de la technique.
Les guitaristes professionnels ont peu de concerts par rapport à d’autres instruments. Que dites-vous à vos élèves à l’orée de leur carrière ?
La carrière ne commence pas à la sortie du Conservatoire ou même après avoir remporté des concours internationaux. Après ma licence de concert à l’Ecole normale, par exemple, j’avais une envie folle de jouer. Je démarchais les mairies avec ma Mobylette pour trouver des petits concerts – arbres de Noël, maisons de retraite, tout était bon à prendre… Les années 70 étaient certainement une époque plus facile, mais je constate qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes guitaristes regardent d’abord la somme d’argent à gagner avant de se présenter à tel ou tel concours ou avant d’aller jouer ici ou là. Or, les possibilités de concert étant limitées, il faut vraiment avoir de l’appétit pour jouer. Mais, dans l’ensemble, mes élèves sont plutôt réalistes. Ils ont conscience qu’il est quasiment impossible de gagner sa vie en ne donnant que des concerts aujourd’hui. Pour se faire un nom, ce qui demande de toute façon infiniment de temps, je leur donne trois conseils : être honnête par rapport à eux-mêmes, cultiver leur différence par rapport au « profil type » du guitariste classique, et, surtout, dans notre époque qui en manque singulièrement, faire passer une émotion, raconter une jolie histoire dont l’auditeur se souviendra le lendemain matin et les jours suivants. Ensuite, les bonnes rencontres au bon moment, la chance sont autant de facteurs qui jouent un rôle dans le développement d’une carrière où, décidément et plus que jamais, tout compte. •
Texte reproduit avec l’aimable autorisation de La Lettre du Musicien