Maurice Dupont
Un luthier en mouvement
Installé depuis 1981 à Boutiers-Saint-Trojan, en périphérie de Cognac, Maurice Dupont est un des grands noms de la lutherie française. Rassemblant une douzaine de collaborateurs, l’atelier Dupont produit aujourd’hui 350 guitares par an, sans compter les amplis, micros, mécaniques et autres pièces détachées… Au fil d’une expérience riche de plus de 35 ans, Maurice égrène réflexions et souvenirs.
« L’atelier a ses défauts, mais il a son charme », nous glisse le luthier en douce, au terme d’une visite durant laquelle il nous a ouvert toutes grandes ses portes. C’est dans la pièce consacrée au « montage », ultime étape de la fabrication (pour la pose des chevalets, l’assemblage, le montage des cordes, l’ajustage…) qu’il nous a accordé cet entretien.
Le virus
S’il a « toujours fabriqué des choses », c’est à l’âge de 17 ans que, immobilisé par un accident de moto, le jeune garçon se lance dans la construction d’un premier instrument : un dulcimer ! Le « virus » de la guitare avait cependant commencé à faire son œuvre, puisque Maurice en avait lui-même tâté aux alentours de ses 14 ans (« un peu d’accompagnement, quelques trucs à Dadi… »), avant de découvrir les Rolling Stones et les Beatles ! Quelques années plus tard, un périple en Europe du Nord va lui permettre, un peu par hasard (les voies de la lutherie sont impénétrables !), de « mettre un nom sur les choses ». Il découvre alors que « fabriquer des instruments est un métier ». Une « petite lumière » s’allume ! Après un IUT de Génie Mécanique, il décide donc à l’âge de 19 ans de « faire de la lutherie ».
Favino et Camac
Mais justement, comment faire ? « Trop vieux » pour intégrer l’école de Mirecourt (unique en France à cette époque), il va à Paris, au Salon de la Musique, pour essayer de rencontrer des gens. Il finit par arriver chez Jacques Favino. « Dans cet atelier qui était assez extraordinaire », il découvre « un univers, une manière, un truc complètement différent de la rue de Rome », où il avait aperçu « des gens en costard qui recevaient dans les magasins, et qui ne devaient pas faire des violons tous les jours ! ». On est en 1978. Quatre personnes travaillent encore à l’atelier Favino, dont Jean-Pierre, qui lui conseille de commencer par l’ébénisterie ! « Il n’y avait pas 50 solutions, reprend Maurice. Je suis donc rentré à Cognac, avec ça comme seule réponse ! » Grâce à sa mère, d’origine vendéenne, il décroche une formation en ébénisterie, non loin de Cholet, à l’issue de laquelle il effectue un stage chez Camac, « qui à l’époque fabriquait beaucoup d’instruments de musique traditionnels : vielles à roue, dulcimers, psaltérions, flûtes à bec, harpes… ». Il y restera quelques mois, avant de revenir à Cognac « squatter le garage de ses parents pour commencer à monter un atelier de lutherie ». En octobre 1981, il s’installe officiellement à Boutiers-Saint-Trojan.
Travail en équipe
Maurice commence à travailler seul, mais très rapidement, il accueille un compagnon. « Jean-Michel, qui avait appris à faire des violons, est venu s’installer avec moi. Il faisait des violons, je faisais des guitares, on faisait aussi des instruments en commun… ». « J’ai jamais travaillé vraiment très longtemps seul, explique Maurice. Je ne suis pas un solitaire plus que ça, même si de temps en temps j’aime bien être tranquille. J’aime bien travailler en équipe ! ». Même s’il affectionne les rencontres avec des musiciens de haut vol, comme Marc Fosset, à qui il fabrique deux guitares à l’été 81 (une nylon à pan coupé et une folk), Maurice s’attachera également à développer très rapidement une production permettant d’échelonner les tarifs. « J’ai toujours essayé de faire des instruments avec des gammes de prix, aussi bien des instruments pas trop chers, pour des gens « locaux », que des instruments plus haut de gamme. » Ainsi des violes de gambe « d’étude », qu’il accepte de fabriquer pour les élèves et les écoles. Au fil des opportunités et des rencontres, le luthier fait son chemin…
Selmer Revival
Grâce à la rencontre de Pierre Larouille, un passionné, Maurice a accès aux « entrailles » d’une Selmer. Il passera « une nuit dans leGers à faire un relevé, sur des feuilles de papier ». Une fois rentré, il fabrique sa première réplique Selmer, au plus proche de l’original (manche en noyer, fond en plaqué…), qu’il présente à Samois l’année suivante. « Ça a fait du buzz, et m’a permis de commencer à faire mes guitares manouches… C’est vrai qu’il y a trente ans, on n’aurait pas imaginé que la Selmer revienne en force comme elle est revenue il y a une dizaine d’années… Mais je n’avais pas d’a priori. L’objet m’intéressait, les gens que je rencontrais aussi. J’ai eu la chance d’en vendre pas mal aux Etats-Unis… ». Bien avant le « retour en force », orchestré par Paris Combo, puis Sanseverino et Thomas Dutronc, Maurice Dupont se fait donc une cote aux USA et au Japon. « Maintenant, c’est redevenu un standard, et il y a des gens absolument incroyables qui s’intéressent à cette musique. » Après Hank Marvin, Steve Miller ou Eric Clapton, ce sont plus récemment Peter Frampton et Andy Summers qui lui passent commande, « des gens pour qui Django représente quelque chose ! ».
La force des choses
« Si j’ai du boulot, des commandes et des guitares à fabriquer, il y a deux solutions, reprend Maurice. Soit j’augmente mes prix pour qu’elles deviennent très chères et qu’il n’y ait plus grand monde qui les achète. Soit j’en fabrique plus, parce qu’il y a plus de demande. Le principe est simple. » D’où le travail à deux, trois, quatre-cinq… jusqu’à treize personnes aujourd’hui, et la rationalisation du processus de production. « Il y a des tâches intéressantes et d’autres qui le sont un peu moins… Les opérations répétitives et fastidieuses, on a envie de les faire le plus vite possible ! ». D’où l’utilisation des machines, un domaine que Maurice aborde sans a priori, venant de la technique de construction mécanique. « Ça reste des outils, précise-t-il. On garde certains travaux à la main, agréables, qu’on aime bien… ». En outre, le recours aux machines s’avère nécessaire pour homogénéiser la production lorsqu’on développe le travail en équipe. « Si on veut faire des guitares à un prix raisonnable, il faut parfois passer par des simplifications, et se poser des questions : qu’est-ce qui est important, qu’est-ce qui ne l’est pas ? ». Ainsi du manche vissé (un procédé déjà employé en 1800 !) sur le modèle Nomade. « L’idée était de faire une guitare qui soit relativement facile à fabriquer, tout en ayant le vrai son d’une guitare type Selmer. Ça fait partie des choses qui nous intéressent. D’un autre côté, on aime faire aussi des très belles guitares, où on passe plus de temps à travailler à la main… J’aime bien passer de l’un à l’autre. ». « Le challenge, conclut Maurice, c’est pas de faire une guitare à 5000 euros, tous les luthiers savent faire… Le plus dur, c’est de faire une guitare à 1000-1500 euros et de gagner sa vie avec, d’être capable de l’assumer. Une guitare, c’est la fabriquer, c’est la vendre, c’est l’assumer ! »
Lâg et Dupont
Même si la vogue du manouche a fait le succès de l’atelier, historiquement, à l’origine, la culture guitaristique de Maurice vient plutôt du folk : Neil Young, Crosby, Stills & Nash, John Renbourn, Bert Jansch… La première guitare qu’il a construite était d’ailleurs une folk. « Mon rêve aurait été de fabriquer une guitare pour John Renbourn ! », avoue-t-il discrètement. Aussi, lorsque, suite au déménagement de l’atelier Lâg de Bédarieux, la marque lui propose de superviser sa production et de créer une gamme acoustique française au design spécifique, Maurice accepte volontiers. Les premiers prototypes ont été présentés au Namm cette année. « L’idée avec Lâg est d’essayer de monter en gamme et aussi en qualité », explique le luthier. A terme, le projet visera également à retravailler avec eux sur leur gamme électrique, en reprenant le cahier des charges. « La lutherie existe aussi dans la guitare électrique, précise Maurice, mais pas au même endroit que dans la guitare acoustique : surtout dans la conception et le choix des matériaux. » Ce challenge « purement technique » fait partie des défis que Maurice Dupont aime relever, d’autant qu’il se trouve en l’occurrence débarrassé des soucis de gestion qui souvent viennent compliquer la tâche. Une occasion pour lui de « sortir et prendre l’air », et de se familiariser avec d’autres visions et d’autres approches.
Maurice Dupont est donc au sens strict un luthier « en mouvement », qui, bien qu’il affirme se situer professionnellement (non sans humour !) « plus près de la fin que du début », n’est pas parvenu (loin s’en faut !) au bout de ses projets ni de ses envies. Parmi les choses qui se retrouvent actuellement « sur l’établi », il y a ce projet de modèles classiques avec table en carbone, né d’une rencontre avec un chercheur au laboratoire d’acoustique musicale de Paris/Jussieu. Après quatre années de labeur, ce travail de longue haleine touche enfin au but. Les premières guitares de ce type sont en préparation. Autres projets en cours : la finalisation d’une réplique du micro DeArmond, et l’idée d’une réplique de micro Charlie Christian… mais également l’envie d’agrandir l’atelier, pour avoir de la place et pouvoir mieux organiser l’espace. « Ça fait longtemps que j’y pense ! », reconnaît Maurice.
Site : www.acoustic-guitars.com
Remerciements à Raphaël Faÿs, présent lors de cette visite, qui joue sur guitare Dupont « Vieille Réserve » et flamenca pan coupé.